Deux mois se sont écoulés.
La Lettre d’exploration du quotidien, je l’ai voulue comme une prise de note de mes voyages ordinaires, ceux de tous les jours. Et ces derniers temps j’ai tellement voyagé. Il y a eut des tempêtes, des steppes désertes, l’automne au milieu du printemps et novembre en plein juin. (Et puis le monde qui part à la dérive...) Il y a eut des décisions après des remises en questions. Des décisions ponctuelles qui m’ouvrent d’autres possibles. Ces autres possibles je vis déjà dedans. Seulement, j’ai eut envie de les regarder différemment, de les regarder plus intensément, de les embrasser. Sur mon bureau en ce moment, l’éthique du care, l’écriture, la littérature et la créativité. Je creuse, je m’informe, je lis, j’essaie, j’échange autour de ces sujets. Je les vois se croiser et se tisser. La cuisine, la poésie et le vivre sont aussi toujours sur ma table de travail – cette table remplie de carnets, de livre, de stylos, de pinceaux, de stabylos, de tasses de thé et de café. Et tous se mélange. J’ai besoin de continuer à avancer pour en parler.
Je ne passe pas ma vie sur mon bureau. Et dehors l’été est arrivé. La fête de la musique a marqué son apparition à coup de guitare, piano, chanteuses et chanteurs, batterie et contre-basse. J’ai vu les enfants danser, jouer, écouter, rire, courir. S’amuser. Vivre. Dans les plus longs rayons de soleil de l’année.
Aujourd’hui la chaleur est montée d’un cran. Alors je pense au pique-nique sur le sable et à l’eau salée, une fraîcheur délicieuse dans laquelle plonger. Je pense au bleu de la mer, à ses vagues, au ressac, à l’écume, aux coquillages et château de sable. Je pense à cette parenthèse dans ma journée. J’ai envie d’en profiter comme une enfant.
Il y a quelques jours, lors d’un atelier d’écriture, j’ai écrit l’été au conditionnel. La condition : être une enfant. Le vent de fraîcheur que l’écriture m’a offert… J’ai remis en perspective mes préoccupations d’adultes. Et, comme le soir de la fête de la musique, quand je regardais les enfants vivre, je me suis laissée la joie de vivre l’été avec insouciance et légèreté. A travers les mots. Mais je sais que les mots laissent des traces et grâce à eux je me suis souvenue d’aimer l’été pour tout ce qu’il pouvait avoir à nous offrir.
Je vous laisse avec le texte de l’été au conditionnel. En espérant que vous retrouviez aussi une part d’été d’enfant… Je vous souhaite un été de possibles.
Emily
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Si ce début d’été marquait la fin de mon année de CM1, je n’aurais pas cette sensation du temps qui passe trop vite. Ces deux mois devant moi seraient une éternité. Une vie d’aventure, de journées à la plage, le sable qui colle à la peau crémée, le sable qui s’infiltre dans le maillot de bain. La glace que je m’empresserais d’avaler en la faisant tourner sur elle-même pour ne rien perdre, le cornet vite croqué et avalé – entre l’ostie et le carton mâché. Ce serait le sable encore, sur les moquettes noires de la voiture dans laquelle il fait trop chaud, les ceintures qu’on tient éloignées pour ne pas brûler nos corps dénudés. Et alors ce serait la fenêtre ouverte, traverser la campagne dorée, les cheveux salés qui sèchent au vent, l’impossibilité de respirer ce trop plein de liberté.
Si cet été était celui de mes 9 ou 10 ans, je ne ressentirais pas ce besoin irrépressible et angoissé de le remplir. Je ne me hâterais pas de combler tous ses trous par des dîners, des listes de livres à lire et de choses à faire – nettoyer les volets, repeindre la porte d’entrée, prévoir les sorties des enfants, gérer les moyens de garde pendant les vacances de la nounou, faire le marché pour remplir les placards plus que le reste de l’année. Je prendrais le temps de l’été comme un possible infini. Je profiterais des longues soirées, l’odeur du barbecue et de l’herbe sous mes pieds nus. Je grignoterais un bol de fraises et tomates cerises cueillies dans le jardin de ma grand-mère. Je croquerais des pêches – leur jus sucré dégoulinerait sur mon menton et le sucre rendrait mes mains poisseuses et collantes. Je boirais des menthe à l’eau pendant que les adultes boiraient du rosé et des petits jaunes pleins de glaçons. La sortie au marché ne serait que flânerie, à regarder les montres en toc, les bracelets filés qui lient l’amitié, les rangées de CD surannés ; à sentir l’odeur des épices, des olives et des étales de fromages. Je me régalerais des tomates à l’huile d’olive et fleur de sel. Et les journées calmes où il n’y aurait rien à faire j’irais piocher un livre au hasard, dans la petite bibliothèque de ma chambre. Je prendrais le Club des Cinq et partirais avec eux sur une île secrète et mystérieuse. Je volerais au côté du Faucon déniché et m’imaginerait Fantômette. Je ne ferais pas de liste à lire. Ni de liste tout court. Je me laisserais aller, comme allongée dos sur la mer, les yeux fermés face au soleil éblouissant. Je me laisserais vivre –
Je ne penserais pas tout de suite à la rentrée, et aucunement aux déplacements à prévoir pour les formations, aux vacances à poser avec stratégie, à Noël, c’est déjà demain.
Je m’inventerais photographe, secrétaire avec tous ses papiers, écrivaine ou poète. J’écrirais des poèmes – je crois que l’un d’entre eux parlerait de tristesse et de sourire, déjà de la mélancolie – et inventerais des histoires. Sur le papier, dans le jardin, dans les chemins avec ma sœur – nos petits frères encore trop petits pour vivre l’aventure de nos jeux rêvés. Toutes les deux on s’inventerait des pique-niques pour le goûter, des fêtes avec des beaux gâteaux et de la citronnade, des fanions entre deux pommiers et la nappe à carreaux rouges dans l’herbe haute des marguerites – un îlot enchanteur dans une prairie fleurie.
Si ce début d’été marquait la fin de mon CM1, je ne serais pas déjà si fatiguée, pleine de douleurs et de désillusions. J’entrerais dans l’été comme le soleil se lève sur une journée pleine de promesse.
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