L’humus, terreau des pourquoi

Être infirmière, prendre soin du vivant*

* par vivant j’entends tout ce qui est vivant sur cette planète Terre, des vers de terre aux femmes en robes vertes, en passant par les champs, les clairières, les forêts, la mer...

Le jeudi midi, dès que je le peux, je vais étirer mon corps, le consolider, créer de l’espace, m’ancrer, me relier. Lucie nous aide à nous ouvrir, à ressentir. Tout est bien plus que le corps seul mais rien n’est possible sans ce corps. Je m’encombre dans le statique, ma nuque devient raide, mes jambes lourdes, mon dos rempli de cailloux, et ma tête ne parvient plus à rien attraper : les pensées, les idées, les besoins, tout se mélange, les papillons volent et je n’ai plus l’épuisette pour les attraper et les observer. Ce matin là, Lucie nous a demandé pourquoi ? Pourquoi venir dérouler son tapis, pourquoi le sens de nos actions, pourquoi tout ce que je fais.

On a étiré nos corps, ouvert nos cœurs et nos hanches. J’ai de nouveau senti que j’avais un corps. J’ai de nouveau pris conscience de chaque parcelle de ce corps qui me porte. Le vivant s’est réveillé. Et instant magique, quand tout redescend, quand le calme revient, le pourquoi qui s’insinue de nouveau, plus clair. Élagué, taillé, débroussaillé.

Je me nourris quotidiennement. De lasagnes aux blettes, de mijoté de fenouil aux tomates, de soupe de potiron et de tourtes aux pommes et cannelle. De livres de fiction, d’utopies créatrices, de récits de vie, de philosophie, d’essais. De rencontres, d’échanges, de café partagés. De paysages avalés derrière les vitres de ma voiture, de mains tendues, de pansements aux creux des bras et sur le cœur les jours de soins infirmiers. De fleurs, de ressac dans le crachin, de forêts qui sentent l’humus. De mots avalés, gribouillés, assemblés. De petit-déjeuners remplis de crêpes, avec ses rires à elle, son œuf à la coque et ses boucles auburn ; et son sourire à lui, son aversion pour les œufs et sa passion sportive.

Je me nourris, me remplis. Et j’oublie parfois de digérer. Alors je me sens submergée, perdue. J’ai égaré le pourquoi.

Cette lettre, je n’arrivais pas à l’écrire. Je voulais faire un état des lieux mais je ne parvenais même plus à accéder au chantier. Alors, le pourquoi.

Trois personnes interviennent dans cette lettre, dans ce pourquoi. Celle qui vient, c’est Marion. Elle m’aide à cheminer sur le chemin des pourquoi. Elle m’aide à aller chercher les pourquoi les plus enfouis. Elle me soutient sur mon chemin des pourquoi. J’avais presque abandonné ma formation en naturopathie. Parce que je voulais rester dans le monde du soin infirmier. Mais je n’avais pas fermé le dossier. Alors j’ai essayé de me rappeler pourquoi j’avais fait cette formation. Au fond, ce n’était pas tant pour devenir naturopathe que de chercher un moyen de remplir les assiettes de soin. Pour prendre soin de soi, des autres, du vivant. Du vivant. Je l’ai faite pour le vivant. Je reste infirmière pour le vivant. Et j'irais au bout de cette formation. Pour me rappeler pourquoi je l’ai faite. Pour prendre soin du vivant.

Au printemps, j’ai participé à un atelier d’écriture avec Louise Browaeys. Une étincelle dans mon année. Une reverdie à ce moment de ma vie. Le premier atelier avait pour consigne d’écrire “ pourquoi écrire un livre-cabane ? ” Elle aussi posait la question du pourquoi. Et ce midi, alors que je retrouvais le calme après avoir éprouvé mon corps avec soin, ce sont les mots du manifeste pour le livre-cabane qui me sont revenu. Je ne sais pas si je parviendrais un jour à écrire un livre, mais je veux construire chaque jour une cabane de vie.

J’ai envie de construire une cabane. Une cabane dans laquelle rêver, créer et prendre soin.

Je veux y étendre mes fragments, flottant dans une brise de début d’été, sur un fil tendu entre deux pommiers.

Je veux la remplir de fleurs, d’assiettes, d’herbes et de marmites médecines : pour transformer ma colère face au chant des oiseaux qui s’amenuise et refuser le système de soin qui périclite, les cailloux dans les poches des blouses des soignants.

Je veux que chaque lettre soit une graine semée, que chaque mot soit une nourriture, que chaque paragraphe soit un murmure d’hirondelles.

Je veux y déposer un panier de poésie, d’utopies créatrices, d’achillée millefeuille, d’écriture quotidienne, de tourte aux herbes sauvages, de livres ouverts, de mains qui s’entrecroisent dans l’espoir d’un prendre soin différent.

Pour cette cabane, je vais remplir de nouveaux carnets avec des mots comme : formation en médecine narrative, care, philosophie du soin, assiettes, quotidien, nuance, santé, vraie vie, écriture.

Je vous souhaite de vous entourer de personnes qui vous posent les pourquoi, de vous aventurer à retrouver vos pourquoi. Tous les pourquoi n’auront pas forcément de réponse, j’essaie d’être patiente. Tous les pourquoi n’auront pas toujours les même réponses, parce que les saisons passent, que les feuilles tombent au sol en automne, se transforment en humus qui nourrit le vivant, et au printemps de nouvelles perspectives fleurissent, d’autres continuent de grandir.

PS.: La lettre d’Exploration du quotidien va légèrement bouger, le prendre soin comme chemin tracé à explorer.

Pendant que l’automne s’installe doucement, que les fraîches soirées invitent aux repas qui réconfortent dans le tourbillon de la rentrée, j’ai cuisiné un curry de légumes au tofu - issu d’une agriculture biologique et locale. Je l’ai servi dans une assiette creuse, modelée à la main dans l’atelier de ma voisine, la potière Angélique Chereil. Voici comment je l’ai préparé.

Curry de légumes au tofu

2 poivrons verts
1 oignon
1 courgette
1 carotte
1 tomate
25 cl de crème de soja
2 cuillère à soupe de curry Japonais (épices Rollinger, mais un autre curry fonctionne aussi très bien)
2 cs de concentré de tomates
1 verre d’eau
1 pincée de vanille
sel
huile d’olive
250 g de tofu

Faire revenir le tofu coupé en cube dans de l’huile d’olive. Réserver. Dans la même sauteuse, faire revenir l’oignon émincé en petit morceaux dans de l’huile d’olive. Ajouter les épices curry et le concentré de tomate. Bien remuer. Puis ajouter tous les légumes coupés en morceaux d’une épaisseur juste pour un temps de cuisson égal - les poivrons en lamelles assez fines, la carotte en brunoise, la tomates en cube, la courgette en cube. Continuer de remuer. Ajouter ensuite la crème, le verre d’eau, la pincée de vanille et du sel. Ajouter les cubes de tofu. Faire mijoter pendant environ 20-25 minutes. Servir avec du riz par exemple - riz de Camargue semi complet mis à tremper 12 heures auparavant.

Lettre d'exploration du quotidien

Lettre d'exploration du quotidien

Par Emily Lucas Kerivel